Egalité des sexes en entreprise : de la difficulté d’inclure ce critère ESG dans une stratégie d’investissement

Nathacan Gonzales | 14.04.20 | Article

Les entreprises du CAC 40 sont parmi les plus avancées en matière de lutte contre les inégalités sexuelles. Selon une étude du cabinet Equileap, les sociétés du CAC 40 ont réalisé un effort considérable en matière de représentativité féminine dans les conseils d’administration, ou encore dans les écarts de salaires par rapport à leurs camarades européens. Mais cette même étude précise également que le chemin est encore long.

La parité dans les entreprises intéresse de près les investisseurs. L’égalité des sexes en entreprise n’est plus exclusivement vue comme une donnée de progrès pour la société, mais aussi comme un facteur pouvant influencer les performances financières et économiques.

Cependant, malgré les efforts d’acteurs publics ou privées, l’égalité des sexes en entreprise est encore un élément difficilement mesurable et analysable pour de nombreux acteurs financiers. Par conséquent, il existe un besoin fort et urgent d’outils de mesure solide permettant d’évaluer les efforts de parité dans les entreprises.

L’égalité des sexes est un facteur de plus en plus important pour les investisseurs

Les sociétés cotées, et en particulier celles du CAC 40, font face depuis quelques années à des pressions pour répondre aux enjeux sociaux et environnementaux de notre société. La mission sociale des entreprises doit désormais se confronter à un nouvel enjeu: L’égalité hommes-femmes.

Les investisseurs et les actionnaires activistes mais également les employés et consommateurs réclament plus de diversité au sein des entreprises. En effet, une augmentation de la représentation féminine dans les entreprises, et en particulier dans le management de haut niveau est souhaitée pour faire éclater le fameux plafond de verre. Le but est aussi de faire disparaître les écarts de rémunération, et d’obtenir plus d’égalité dans les promotions et augmentions de salaires.

La parité dans les entreprises a également des bénéfices sur la performance économique. Des recherches de S&P Global ont montrées que les entreprises dont le conseil d’administration est diversifié affichent des performances financières supérieures aux autres entreprises. Une autre étude de Quantamental Research Fund montre que les entreprises dirigées par des femmes, et plus globalement les entreprises qui ont une grande diversité, affichent une performance boursière supérieure à leurs concurrents.  Par conséquent, au même titre que le respect du climat, l’égalité des sexes en entreprise est devenue un élément déterminant dans les stratégies d’investissements.

L’importance marginale des indicateurs d’égalité dans les scores ESG

Des indicateurs d’égalité des sexes sont déjà inclus dans la plupart des scores ESG. Pour motiver leurs décisions d’investissements, les investisseurs peuvent analyser le volet social des entreprises où les indicateurs d’égalité des sexes ont en principe une influence positive. Cependant, les nouvelles ambitions paritaires des investisseurs ne se traduisent pas encore dans les analyses ESG. Les indicateurs d’égalité sont encore faiblement intégrés dans les méthodes de scoring ESG, et ils n’ont donc pas l’influence souhaitée.

Tableau 1 : Corrélation entre les indicateurs d’égalité des sexes et les indicateurs ESG (source : Thomson Reuters)

 

On observe dans le tableau ci-dessus une faible corrélation entre les indicateurs de parité des entreprises du CAC 40 et leurs scores ESG. La très faible corrélation (0,14) entre la proportion de femmes managers dans une entreprise et son score social illustre bien la faible influence de l’égalité hommes-femmes dans l’évaluation ESG d’une entreprise. De plus, les indicateurs d’égalité des sexes sont encore moins lisibles dans les scores ESG globaux avec une corrélation quasi nulle (-0,049). Par exemple, le fabricant de semi-conducteurs STMicroelectronics affiche un score global ESG bien au-dessus de la moyenne, alors que l’entreprise est seulement composée de 16% de femmes managers, soit 15 points de moins que la moyenne du CAC 40 d’après les données de Thomson Reuters. Au contraire, Hermès et LVMH qui ont plus de 60% de femmes managers dans leurs effectifs affichent un score global ESG largement au-dessous de la moyenne.

Des indicateurs encore très peu impactant dans les analyses ESG

L’importance encore relative de ces indicateurs peut s’expliquer un manque de maturité dans la publication des données d’égalité. En effet, nous disposons publiquement aujourd’hui que de données brutes concernant les effectifs ou la rémunération comme le taux de femmes employées dans une entreprise. Néanmoins, il est encore difficile de disposer de données complexes, telles que les écarts de compétences ou les écarts de promotion, pour analyser les vraies sources d’inégalités des sexes dans une entreprise car peu de moyens sont actuellement mis à disposition pour cette cause. Ainsi, les indicateurs d’égalités sont encore trop peu pertinents pour vraiment peser dans les analyses ESG.

Index égalité H/F : Possible mesure d’égalité des sexes pour les analyses ESG ?

Les indicateurs de source de données publiques comme solution

Si les entreprises n’ont pas les moyens ou la volonté d’évaluer leurs pratiques en matière d’égalité des sexes, les analystes peuvent se tourner vers des sources de données alternatives. Parmi ces sources, nous pouvons nous appuyer sur les mesures mises en place par les pouvoirs publics. En effet, dans le cadre de lutte contre les inégalités sexuelles en entreprise, les entreprises doivent faire preuve de transparence et sont contraintes à une obligation de résultat sur ce sujet.

En France, le ministère du travail a mis en place en 2019 un barème sur 100 points qui évalue l’égalité hommes-femmes au sein des entreprises. Fruit d’un travail commun entre les pouvoirs publics et les organisations patronales, cet index doit être obligatoirement publié par les entreprises de plus de 50 salariés. Cet index se calcul sur des indicateurs basés principalement sur les rémunérations (voir annexe 1). En effet, son objectif est de réduire progressivement les écarts de salaires entre sexes et il est construit de manière à faire évaluer les mesures de corrections prises par les entreprises sur les questions de rémunérations.

Des limites dans le calcul de l’index d’égalité H/F

Un tel index, qui plus est public, peut servir de point de mesure pour les analystes qui ont la volonté de prendre en compte l’égalité hommes-femmes. Néanmoins, le calcul de cet index comporte des limites qui l’empêchent de réaliser sa finalité.  Tout d’abord, on observe une certaine flexibilité dans la détermination des paramètres du calcul. Les entreprises sont par exemple libres de déterminer les catégories de postes ou encore la méthode de calcul des augmentations comme elles le veulent, ce qui laisse l’opportunité aux entreprises de modéliser l’index à leur manière.  De plus, certains facteurs structurels d’inégalité des sexes sont oubliés dans le calcul. On peut notamment citer le recours au temps partiel ou encore la sous-traitance. Par conséquent, les pratiques des entreprises fait que l’esprit initial de l’index est rarement respecté.Ces limites se traduisent par des incohérences visibles dans les sociétés du CAC 40. De fait, en omettant certains facteurs d’inégalité et en se basant exclusivement sur des critères de rémunération, l’index n’est pas forcement représentatif de la vraie condition féminine dans les sociétés du CAC 40. Ainsi, comme nous l’observons en annexe 2, certaines entreprises se sont vues attribuer des index élevés alors que la place accordée aux femmes est plutôt limitée au sein de leurs effectifs. Par exemple, Capgemini affiche un très faible taux de femmes managers avec seulement 14%, mais en parallèle, l’entreprise affiche un index égalité hommes- femmes de 94, ce qui est supérieur à la moyenne des entreprises du CAC 40.

La faible pertinence statistique de l’index

Enfin, cet index représente un défaut structurel majeur pour les analystes, il n’est pas assez discriminant. En effet, l’intérêt d’une telle statistique est de pouvoir définir des groupes d’entreprises ayant des résultats supérieurs à leurs pairs et de comprendre pourquoi ces entreprises performent. C’est également un moyen d’extraire des tendances d’évolution sur un temps donné. A l’inverse, cet index serait également utile pour comprendre le retard de certains acteurs en matière d’égalité des sexes. Néanmoins, comme nous le voyons dans le graphique ci-dessous, les index des acteurs du CAC 40 sont trop homogènes. Ainsi, il difficile d’identifier des groupes d’entreprises qui ont une réelle signification statistique, l’index perd alors de sa pertinence dans une analyse ESG d’entreprise.

 

Conclusion

En somme, les indicateurs publics de ce type n’ont pas l’impact souhaité sur les analyses ESG. Souvent issus d’un compromis entre entreprises et pouvoirs publics, les indicateurs publics souffrent d’incohérences dans leurs calculs et cela conduit à des résultats peu pertinents. Ainsi, ils ne peuvent être à ce stade, et sans amélioration, une solution d’analyse de l’égalité solide pour les investisseurs.  

Malgré l’apparition d’initiatives en faveur de l’analyse de l’égalité des sexes en entreprise, ces indicateurs n’ont pas atteint le niveau de maturité d’autres indicateurs ESG, comme ceux du climat. Par conséquent, les indicateurs d’égalité des sexes ont encore du chemin à parcourir pour avoir un réel impact sur les stratégies d’investissement.

Annexe 1 : Calcul de l’index égalité Hommes-Femmes
En cas de non-respect du seuil limite de 75 points, les entreprises s’exposent à des sanctions financières qui peuvent atteindre 1% de la masse salariale. L’index se calcul à partir de 4 ou 5 indicateurs :

  • L’écart de rémunération femmes-hommes (40 points) : L’indicateur compare les rémunérations moyennes des femmes et des hommes, incluant les primes de performance et les avantages en nature. Seules sont exclues les primes liées aux conditions de travail (prime de nuit, heures supplémentaires…) et les primes de départ et de précarité. L’entreprise peut utiliser la classification de branche ou une classification agréée par le ministère pour définir les postes comparables.
  • L’écart de répartition des augmentations individuelles (35 points) : Le maximum de points est accordés sir l’entreprise a augmenté autant d’hommes que de femmes, à 2% ou 2 personnes près.
  • L’écart de répartition des promotions (uniquement dans les entreprises de plus de 250 salariés)
  • Le nombre de salariées augmentées à leur retour de congé de maternité (15 points) : La maternité est le facteur le plus impactant et le plus injuste car inhérent à la condition féminine et humaine. Il impacte la rémunération des femmes tout au long de leur carrière.
  • La parité parmi les 10 plus hautes rémunérations (10 points) : L’objectif est d’assurer à tous les échelons hiérarchiques, et notamment aux postes de direction, une représentation plus équilibrée des deux sexes.