Un monde de paradoxes

 

Orienter les flux de capitaux vers des entreprises plus vertueuses pour répondre aux défis environnementaux et sociaux est primordial et s’inscrit dans les initiatives réglementaires de la commission européenne via le green deal.

Si certaines entreprises participent directement à la transition climatique ou à la préservation de la biodiversité par leur activité, ce n’est pas le cas de toutes. Certaines n’y répondent pas directement mais ont enclenché une transition via leur mode de production ou une réorientation de leur offre de produit ou service. D’autres en revanche, semblent encore et toujours peu convaincues par l’urgence climatique et estiment que la performance financière ne va pas de pair avec la durabilité.

Quoiqu’il en soit, il est nécessaire d’accompagner tous ces acteurs vers la durabilité et c’est en partie pour cette raison que la réglementation au niveau de la finance durable existe. Elle encourage les bonnes pratiques et oblige les plus réticents à devenir plus responsables.

L’autre rôle clé de la réglementation est celui d’éviter le greenwashing et souhaite encadrer, à cet effet, l’utilisation de termes trop facilement employés tels que : ESG, durabilité, responsable..

Si on part de ces constats, nous devrions être sur l’autoroute de la finance durable et voir défiler à nos côtés, des pratiques de plus en plus ambitieuses. La réalité est un peu plus contrastée.

Car aujourd’hui, si on est durable, il faut le prouver. Et c’est là que le bât blesse :

1. Créer un fonds dit “durable” exige plus de transparence, notamment par le biais des reportings, toujours plus nombreux et complexes à réaliser. Comme nous le disions, cette logique part d’une bonne intention : éviter le greenwashing. Pourtant, même certains acteurs engagés n’arrivent pas à expliquer leur stratégie et à rentrer dans les cases de la réglementation SFDR (il s’agit de réglementation de l’Union Européenne concernant les informations à fournir en matière de durabilité dans le secteur des services financiers)

2. La réglementation, aussi exigeante soit-elle, n’est pas toujours simple à comprendre et de nombreuses zones d’ombres persistent. Les investisseurs interprètent les définitions et la réglementation peine à créer un vrai standard.

On se retrouve donc avec des acteurs financiers qui soit, ne souhaitent pas se plier à toutes les exigences que requiert un investissement durable, soit, ne comprennent pas ce qui leur est demandé par la réglementation et ont peur de se mettre en risque.

Pour beaucoup, la solution la plus simple est de ne pas renforcer ses engagements ESG.

C’est d’ailleurs ce que nous montre une récente étude de Morningstar : 307 fonds Article 9 ont été déclassés en Article 8  !

Rappelons qu’aujourd’hui un investissement qualifié de durable au sens de SFDR est un investissement en Article 9, dont la poche est constituée à 100% d’entreprises ayant déjà opéré une transition environnementale et/ou sociale. Dans cette notion de durabilité, on semble exclure les entreprises actuellement en transition.

Une définition qui ne semble pas convenir à tout le monde car un bon nombre d’investisseurs souhaitent inclure les entreprises en transition dans cette définition et sont même encouragés par le régulateur français à le faire.

Mais alors, entre ce qui est dit officiellement, ce qui est encouragé et ce qui est fait dans la pratique… comment s’y retrouver ?

    Un chemin semé d’embûches

     

    Pour illustrer notre propos, prenons l’exemple d’un investisseur qui souhaite créer un fonds vert (dans le sens Art. 9 de la réglementation SFDR), engagé sur une thématique environnementale.

    Est-ce que cet investisseur doit uniquement concentrer son portefeuille sur des entreprises dont l’activité est déjà considérée bas carbone ? Ou peut-il se pencher sur des entreprises aujourd’hui moins vertueuses mais qui ont des plans d’engagement ambitieux pour ainsi les accompagner dans leur transition ? 

    Face à ce qui nous semblait être un flou général, les équipes de WeeFin ont analysé pendant plusieurs semaines, 17 sociétés de gestion (SGP) et 3 fournisseurs de données afin de comprendre quelles sont les méthodologies utilisées par ces entreprises pour définir ce qu’est un investissement durable et son application opérationnelle.

    Si on part du cadre donné par la réglementation SFDR sur l’investissement durable, on peut en ressortir 3 conditions à remplir. A première vue, ces conditions sont assez larges et s’inspirent beaucoup de la taxonomie européenne. 

    Selon la réglementation SFDR, un investissement durable :

     

    1. Doit contribuer un objectif environnemental et/ou social, mesuré au moyen d’indicateurs clés

        • 67% des SGP étudiées dans notre étude font appel au framework des Objectifs de Développement Durable (ODD) pour prouver la contribution positive des entreprises aux enjeux environnementaux et sociaux. C’est un chiffre qui nous a paru étonnamment élevé car ce fameux framework des ODD est lui aussi, flou et généraliste.

          Les entreprises n’ont, à l’heure actuelle, aucune méthodologie à suivre pour prouver qu’elles contribuent à un ODD.

          Si nous reprenons l’exemple de notre investisseur qui souhaite créer un fonds Art 9, il n’aura aucune méthodologie sur laquelle s’appuyer afin de s’assurer que l’entreprise dans laquelle il souhaite investir répond bien à un ODD.

          En l’absence de méthodologie, les investisseurs utilisent un mélange d’analyses qualitatives et quantitatives, ajoutant une couche d’opacité, notamment en se basant sur des prestataires avec des échelles de notation différentes ou en encadrant ce score ODD par un score ESG global, propre à l’entité… de quoi s’y perdre et voir des pratiques très différentes s’opérer.

          Chez WeeFin, nous recommandons d’utiliser ces ODD avec un framework précis et de définir un même KPI par ODD pour juger de la même manière la contribution d’une entreprise à un ODD.


        • 11% des acteurs étudiés utilisent quant à eux le cadre de la taxonomie pour définir un investissement durable. Si c’est la voie recommandée par les régulateurs, nous la trouvons néanmoins imparfaite car à l’heure où nous écrivons ces lignes, la taxonomie ne prend en compte que les enjeux climatiques. Qu’en est-il de la biodiversité ? Des enjeux sociaux ?

           

        • Enfin 17 % des acteurs étudiés ayant établi la définition au niveau des émetteurs, utilisent le cadre du SBTi. Si cette démarche nous semble être une bonne idée, elle n’est malheureusement pas tolérée par la définition actuelle de l’investissement durable car elle est justement axée sur des plans de transitions et d’engagement. Les acteurs financiers ne respectent donc pas à la lettre la définition de la commission européenne qui est de choisir uniquement des entreprises déjà transitées.

           

           

        2. Ne doit pas porter préjudice à un autre objectif environnemental ou social
        La quasi-totalité (représentant 97% de l’AUM) des acteurs analysés utilisent les principales incidences négatives (PAI) pour vérifier l’absence de préjudice vis-à-vis des objectifs environnementaux ou sociaux. Toutefois, aucun acteur ne prenait en compte les 14 PAI, dû à un manque de données disponibles. Dès lors, d’autres méthodes ont parfois été utilisées pour pouvoir les intégrer, notamment à travers des exclusions ou un scoring interne…

      • 3. Doit avoir de bonnes pratiques de gouvernance

      • Nous avons repéré deux méthodologies souvent privilégiées par les acteurs interrogés :

      •  

      • – Une prise en compte des controverses sur la thématique de gouvernance qui sont ensuite intégrés dans des scores « Gouvernance ». Pour établir ces scores, les entreprises mélangent des éléments qualitatifs, de la recherche et des scores de fournisseurs…

      • Les entreprises vont prendre en compte des PAI liés à la gouvernance. Par exemple, le PAI #10 (violation de l’UNGC) est un PAI qui participe à l’évaluation de la bonne gouvernance. Le problème étant que ce PAI est davantage relatif au Droit Humain et ne s’applique pas vraiment dans le cas d’un investisseur qui doit s’assurer de la bonne gouvernance d’une entreprise dans laquelle il souhaite investir.

      Pas à pas

       

      Nous l’avons dit au début de cet article : une transformation rapide et nette des pratiques d’investissement doit s’opérer. Mais la finance ne deviendra plus durable que si elle abandonne sa traditionnelle opacité.

      Le régulateur doit instaurer des règles plus claires afin que les investisseurs soient pleinement conscients des attendus et ne voient plus la réglementation comme une contrainte floue qui les met en risque.

      En plus d’un besoin urgent de guidelines de la part du régulateur, c’est dans la gestion de la donnée que le travail reste le plus important. Une plus grande visibilité n’est pas seulement nécessaire dans la stratégie, mais aussi dans les méthodologies de scoring car pour le moment, ce sont les acteurs financiers qui décident finalement de la méthodologie et du niveau de sévérité utilisés dans leur propre définition.

      D’ailleurs, ce n’est qu’avec une transparence accrue et une gestion plus fine des données ESG qu’il sera possible pour chaque acteur de valoriser sa propre vision de la durabilité et à l’investisseur final de faire un choix éclairé sur ses investissements. 

      Aussi, nous sommes convaincus que la définition d’un investissement durable doit intégrer les acteurs en transition, chose déjà souhaitée par la plupart des acteurs de la Place et par l’AMF.

      Si les investisseurs les plus réticents peuvent être découragés par cette complexité et les acteurs les plus engagés, fatigués de la lenteur que prennent les choses, n’oublions pas que Rome ne s’est pas faite en un jour et que c’est en étant nombreux à vouloir changer les méthodes d’investissement, que nous pourrons faire bouger les choses.

      Et bien sûr, une partie de la solution pour les investisseurs peut résider dans les partenariats avec les fintechs. La technologie permet de faciliter le déploiement de la réglementation et d’une stratégie ESG adaptée.

      Chez WeeFin, nous avons créé une plateforme SaaS qui permet à nos clients de croiser les nombreuses bases de données ESG de différents fournisseurs, d’en tester la qualité, de définir des indicateurs personnalisés en fonction de leur stratégie d’investissement, et de produire l’ensemble des reportings, notamment règlementaires qui s’imposent sur l’ESG.

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